Les corps des personnes marginalisées sont des corps qui existent dans un monde où ils ne sont pas les leurs.
Un monde où tout devrait être noir ou blanc, homme ou femme, bien ou mal.
Mon corps est mon corps. Je ne crois pas en l’étiquetage pour le confort de quelqu’un d’autre.
Mon corps est ma maison, l’endroit où je dois me sentir en sécurité.
Me sentir en sécurité dans mon corps est quelque chose sur quoi je travaille tous les jours, naviguant les attentes et les perceptions sociales, tout en essayant de me sentir propriétaire de mon propre corps.

Zoë (à gauche), son épouse (Marie-Ève) et leurs chiens Kimchi (dans les bras de Marie) et Mister Pickles à leur boutique.
Je me suis toujours senti.e en désaccord avec mon corps. Il y a toujours eu quelque chose quelque part qui ne semblait pas à sa place, qui avait l’air drôle, qui n’était pas valorisé socialement.
Quand j’ai réalisé pour la première fois que j’étais queer, j’ai ressenti un certain soulagement. Je sentais que ce nouveau monde était moins axé sur l’apparence et plus sur l’acceptation. La communauté LGBTQI2S m’est immédiatement apparue comme un endroit sûr pour moi. L’acceptation de nos orientations sexuelles, de nos expressions de genre et de nos expressions physiques a fait en sorte que l’angoisse que je ressentais envers mon expression et mon acceptation de moi a disparu. Faire partie d’une communauté ayant mis de côté ce qui était considéré comme « acceptable », « attendu » ou « conventionnel » a fait que je me suis senti.e vu.e positivement.
En m’habillant en fonction de ce qui me semblait le plus confortable et en sachant que j’appartenais à une communauté qui valorisait l’acceptation et l’inclusion, je me suis senti.e vu.e pour qui j’étais vraiment pendant un certain temps.
Quand j’ai fait mon « coming out » public, cette joie et cette libération retrouvées se sont rapidement estompées. Encore une fois, mon corps ne m’appartenait pas. On m’a dit que je « n’avais pas l’air assez lesbienne », donc je ne pouvais pas être queer. Ou que je « confondais » les gens parce qu’on pensait que j’étais hétéro à cause de la façon dont je m’habillais.
Ces commentaires invalidants me remplissaient de honte et de peine, mais je ne comprenais pas pourquoi. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi j’avais tellement honte de mon corps, alors que je me sentais si bien de faire partie d’une communauté qui le célébrait. Je ne pouvais pas comprendre comment les gens qui prétendaient me soutenir et m’accepter étaient si prompts à invalider qui j’étais en fonction de ma façon de m’habiller.
Mon corps n’était plus mon endroit sûr, non pas parce que je n’étais pas assez queer, mais parce que je passais pour une personne « straight »… de justesse. Même avec la tête rasée, des piercings et des tatouages, des looks de style de vie alternatifs comme beaucoup de gens les voient, j’étais toujours catégorisé.e par mon apparence et par le corps dans lequel je suis né.e.
Je n’ai commencé à me sentir vraiment en sécurité dans mon corps que cette année, lorsque j’ai fait mon « coming out » en tant que personne non-binaire. Quand j’ai compris que mes sentiments de malaise envers mon corps étaient causés par ma compréhension de moi-même, ça a cliqué.
Mon corps est mon corps et je ne laisserai plus ma propre perception de mon corps être dictée par ce qui est attendu par les autres.
Je ne m’identifie pas au sexe assigné à ma naissance. Je suis plus que ce qui m’a été assigné, pas seulement une femme. Je sais maintenant que le malaise que je ressentais face à mon corps qui prenait de l’espace ou qui était vu n’était pas dû au fait que je n’étais pas assez queer pour ne pas être identifié.e à tort comme une femme hétérosexuelle. Je sais maintenant que c’est parce que je ne m’identifiais pas à ce qu’on me catégorisait ou comment on me percevait : une femme.
Je suis « plus que et pas seulement ». Je comprends maintenant que je n’ai pas besoin de me plier aux attentes sociales de mon expression et de mon identification de genre. Je ne me suis jamais senti.e plus libre dans mon corps.
Oui, j’ai du mal avec certaines parties qui me rappellent chaque mois que mon corps ne reflète pas à 100 % ma réalité.
Oui, j’ai encore du mal avec la perception des autres. Je pense que beaucoup d’individus qui s’identifient comme non binaires luttent aussi. Ce que je veux dire, c’est que nous percevons que les autres pensent que nous leur devons en quelque sorte d’être androgynes, ou que nous leur devons des moyens de nous étiqueter clairement pour leur propre confort.
En réalité, nous ne devons rien à personne pour prouver notre identité de genre et mériter le respect. Nos corps devraient être valides peu importe la façon dont nous choisissons de nous exprimer.
En tant que propriétaire queer non-binaire d’un magasin de laine, j’utilise ma voix pour aider à amplifier celles des personnes qui ne peuvent pas être entendues. J’utilise ma voix pour apporter des changements dans nos communautés.
Habiller notre corps est une tâche quotidienne qui peut créer tant de douleur, d’inconfort et de dysphorie pour beaucoup d’entre nous. C’est un rappel quotidien que nous serons mal identifié.e.s, mal compris.e.s, mal genré.e.s. Bien que nous puissions nous sentir à l’aise et en sécurité dans notre corps, nous pourrions ne pas recevoir cette acceptation des autres en raison de leur incapacité à accepter, à comprendre.
En tant que propriétaire queer non-binaire d’une boutique de laine, il est de mon devoir de défendre nos intérêts : la recherche de vêtements, de modèles et de designs qui nous aident à nous affirmer et à nous faire sentir en sécurité et vu.e.s.
Lorsque je recherche des échantillons pour la boutique, des projets personnels ou des projets à suggérer, j’ai tendance à graviter vers ceux qui offrent certaines fonctionnalités :
- Dimensionnement inclusif (XP à 5XL).
- Diversité dans les images du projet : les vêtements sont-ils présentés en différentes tailles et sur différents types de corps ?
- Accessibilité des instructions: langage, facilité de lecture, FAQ/aide.
- L’abordabilité des laines suggérées : le modèle repose-t-il exclusivement sur des laines haut de gamme ou est-ce que des laines moins chères sont également présentées ?
J’ai également tendance à rechercher des motifs qui n’utilisent pas beaucoup de volants ou de dentelle, car ces détails sont généralement associés à des genres plus féminins. Quand on a une bonne connaissance du tricot et de la lecture de patrons, ajouter ou remplacer certains détails peut grandement changer un vêtement et le rendre plus confortable à porter, sans forcément inviter les autres à vous mégenrer.
Je recherche ces caractéristiques et informations dans la description visible du modèle. Si les informations ne sont pas fournies et que vous devez acheter le modèle juste pour voir si c’est quelque chose qui fonctionnerait pour vous, le modèle n’est pas inclusif. Ces 5 $, 10 $, 15 $, pourraient être mieux utilisés, surtout si le motif choisi ne s’avère pas aussi inclusif qu’on l’espérait.
Cela fait également partie de mes responsabilités que de mettre les designers au défi de créer des patrons pour nos corps, pas seulement pour des corps « traditionnels ».
Lorsque les gens entrent dans la boutique et parlent de leurs projets, beaucoup déclarent ne pas aimer un certain objet fini parce que la mise en forme, l’écriture ou le manque de dimensionnement ont été décourageants. Ce que j’aime c’est demander ce qui ne va pas ou ce qui déplaît dans le modèle, pour prendre ces commentaires et les transformer en données de recherche.
En comprenant ce qui dérange dans un motif, il est alors plus facile de rechercher des patrons et aussi plus facile de contacter les designers et dire : « Bonjour ! Nous aimons vos conceptions, mais nous avons soulevé quelques problèmes dont nous aimerions discuter pour voir si ces changements pourraient être intégrés dans les modèles actuels ou futurs. »
Il est difficile de trouver des modèles et des designers qui « nous ressemblent », ou qui nous représentent. C’est pourquoi je les encourage fortement à penser à utiliser des modèles et des tableaux de tailles plus diversifiés et à se mettre au défi de créer des vêtements fonctionnels qui s’adressent à tout le monde.

Tous les corps sont différents. Tous les corps sont valides.
Étiqueter ou catégoriser de façon appropriée un modèle est une autre chose qui doit être abordée. Je me souviens de la fois où j’ai cherché un haut en tricot à manches courtes pour hommes et les dix-huit premiers résultats étaient des camisoles et des « bralettes » … tous avec les étiquettes « unisexe » et « hommes ». Les designers et les sites web hôtes doivent veiller à ce que ces balises soient utilisées de façon appropriée et non exploitées pour gonfler les ventes au détriment d’une navigation précise.
Nous méritons d’être vu.e.s pour qui nous sommes. Nous méritons des vêtements conçus pour nous. Nous méritons des modèles qui ne nous catégorisent pas, ne nous réduisent pas, ne révoquent pas nos droits.
Avoir des conceptions inclusives du genre est un point de départ. Ces conceptions ne doivent pas être des sacs ou des vêtements sans forme. Elles doivent être inclusives des genres, de la même façon qu’un ou une designer concevrait des vêtements qui sont corporellement inclusifs (« body inclusive ») ou des vêtements hypersexualisés. Ces conceptions doivent nous apporter sécurité et confort, sans rien devoir à personne, sans nous compromettre pour le confort des autres qui ne peuvent pas comprendre. Des conceptions destinées à nous faire sentir que notre corps vaut la peine d’être vu pour ce qu’il est : accepté et célébré.
Image d’en-tête par Gemma Chua-Tran sur Unsplash; toutes les autres images par Caroline Perron.